Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article CISTA MYSTICA

CISTA MYSTICA. La ciste (cista, x(a¢r), appelée aussi quelquefois dans ce cas xo(Tr, était un objet qui avait une place très importante dans la célébration de tous les mystères antiques, à côté du calathus et du van dionysiaque [BACCHUS 2, CALATHUS, VANNUS]. Son rôle y était toujours le même et parfaitement déterminé. La ciste, fermée d'un couvercle, servait à conserver, cachés aux yeux des profanes, ces objets sacrés et mystérieux (tep), dont la révélation aux mystes constituait l'acte essentiel de toutes les initiations, cet acte que l'on appelait scaptihae; Tüiv lepûly, comprenait presque toujours une véritable communion, car dans les objets de la ciste il y avait des gâteaux', auxquels goûtaient les initiés [ELEUSINIA, MYSTERIA]. Ces ïepà, que Clément d'Alexandrie 4 nous fait connaître pour un grand nombre de mystères, sont ce qu'Apulée 6 appelle tacita secreta cistarum. Une terreur religieuse défendait contre la curiosité des indiscrets les objets mystérieux cachés dans la ciste et la ciste ellemême (plenae tacitae formidine cistae8), à laquelle les dévots rendaient de véritables honneurs d'adoration'. Les textes littéraires et les monuments figurés nous attestent que la ciste des mystères était toujours rituellement une corbeille cylindrique à couvercle en osier tressé jamais un coffret de bois ou de métal en imitant la forme. Quelquefois elle avait une grande dimension, comme celle dans laquelle les deux frères Tottès et Onnes apportèrent dans Milet assiégé les Niera des mystères cabiriquese; celle-là, ii fallait deux hommes pour la porter, un la tenant de chaque côté. Mais le plus souvent la dimension de la ciste était médiocre; un seul homme la portait sans effort. Le ministre sacré qui en avait l'office était appelé xtaropopo; 10, ce que les Romains ont quelquefois traduit en cistifer11 C'est surtout dans le culte mystique de Dionysos que la ciste était un élément essentiel, à tel point qu'à l'époque romaine elle devint comme une sorte de caractéristique des scènes en rapport avec Bacchus et les Bacchanales, même sans intention mystique, et chez les poètes 12 et dans les oeuvres de l'art 12. Pourtant la ciste ne paraît pas avoir eu sa place dans les rites primitifs de la religion dionysiaque, surtout de celle du Dionysos thébain. Elle est absolument étrangère aux Triétériques de la Béotie [BACCHUS 2, D4oNYSIA] ; Sénèque le Tragique seul l'y introduit 14, avec une ignorance marquée des véritables pratiques de ces fêtes 15. On ne voit non plus la ciste auprès de Dionysos et de ses suivants sur aucun monument de la Grèce propre remontant à la belle époque, ni dans aucune des innombrables scènes dionysiaques que nous offrent les vases peints ts. Chez Aristophane", la ciste n'est encore que le récipient dans lequel on apporte les gâteaux du sacrifice. Les premières mentions littéraires de la ciste comme objet mystique dans des cérémonies dionysiaques sont chez Démosthène18 et chez Théotrite 19. Encore chez le premier s'agit-il des pratiques d'un thiase spécialement consacré au culte de Sabazios. C'est en effet avec les éléments étrangers empruntés à la religion de ce dieu thraco-phrygien, que,la ciste a été inproduite dans le culte dionysiaque de la Grèce [BACCHUS 3 et 12, SABAZIOS]. Aussi, dans les rites bachiques, ren ferme-t-elle toujours le serpent, animal qui dans la symbolique dionysiaque provient des Sabazies de l'AsieMineure [BAccuus 11]. Un serpent vivant était gardé à demeure dans la ciste dionysiaque, non pas, comme l'a pensé O. Jahn R0, à titre de gardien des Niera qu'elle renfermait, mais, Clément d'Alexandrie nous le dit en termes formels21, comme l'emblème animé de Dionysos Bassareus ou Sabazios, comme étant le dieu lui-même. La plus ancienne représentation que nous ayons de la ciste dionysiaque est fournie car le type des monnaies d'argent de l'Asie-Mineure dites cistojdhores [CISTOPIIORI], où on la voit au mi lieu d'une couronne de lierre, avec son couvercle soulevé par le serpent qui en sort (fig. 1545). En effet, elle tenait de tout temps une place considérable dans les cérémonies du culte de Dionysos dans cette contrée , aussi bien de celui des cités helléni CES 1206 C1S ques n, que de celui des indigènes, qui avait certainement influencé sous ce rapport les Grecs asiatiques. Du même temps environ que les cistophores monétaires est le célèbre groupe du Taureau Farnèse", oeuvre de sculpteurs rhodiens, où la ciste mystique figure à terre comme indice de la cérémonie dionysiaque au milieu de laquelle Dircé a été saisie par Amphion et Zéthos. Au même temps encore, et probablement à l'art de l'Asie-Mineure 24, appartient l'admirable vase de sardonyx de notre Cabinet des Médailles, connu sous le nom de Coupe des Ploléruées 25 (p. 913, fig. 4185), où nous voyons la ciste entr'ouverte d'où s'échappe le serpent, au milieu de l'accumulation des objets religieux de toute nature, vases, masques, etc., préparés pour la fête de Bacchus. A l'époque romaine impériale, l'image de la ciste mystique ne manque plus presque jamais sur les bas-reliefs à sujets bachiques, particulièrement ceux des sarcophages, Mais elle n'y figure pas comme portée dans une procession ou employée dans un rite déterminé. C'est un attribut qui git à terre, quelquefois seul, pour définir la nature de la scène et comme pour rappeler que le dieu auquel elle se rapporte est un dieu des mystères. Toujours, sur ces bas-reliefs, la ciste-a son couvercle plus ou moins soulevé, et l'on voit le serpent qui se glisse dehors. C'est ainsi que nous la voyons auprès de Bacchus enfant nourri par une chèvre en présence de Pan"; auprès du dieu dans la lieur de son éternelle jeunesse quand il s'avance vers Ariadne endormie '7; sous le char où il est porté en triomphe 23 ; aux pieds des personnages du thiase bruyant qui l'accompagneZ3; ou même au milieu de la scène de sa bataille contre les Indiens 30, Le célèbre camée du cardinal Carpegna3i (p. 634, fig. 719) laisse voir aussi la ciste sous le char traîné par des centaures, qui porte Bacchus et Proserpine. Souvent, par une combinaison ingénieuse, c'est un Pan qui, en dansant au milieu du Thiase, heurte la ciste de son pied de bouc, en dérange le couvercle et donne issue au serpent qu'elle renfermait32. Ailleurs ce sont des amours qui l'ouvrent en jouant et sont épouvantés par la vue du serpent33. Sur le sarcophage Casali n, c'est une ménade qui ouvre la ciste en présence d'un satyre dans l'attitude de l'étonnement et de l'admiration. Nous reproduisons ici (fig. 4546) un beau anssotfuss ou plat d'argent 95, découvert en Russie dans le gouvernement de Perm et conservé dans la collection du comte G. Stroganoff, à Saint-Pétersbourg ; on y voit une ménade qui soulève le couvercle de la ciste, posée sur une sorte d'autel rond, et donne à boire au serpent sacré. Des basreliefs nous montrent encore la ciste réunie, comme attribut bachique, au canthare, au tympanum et au thyrse36; suspendue avec des masques sous des arcades37; portée avec le canthare sur un char que traînent des panthères 38; enfin décorant le devant d'un char 36. Dans les oeuvres de la statuaire romaine de ronde bosse, la ciste accompagne quelquefois l'image de Bacchus 40, d'accord avec la description de Valerius Flaccus 81, lorsqu'il montre Hypsipyle déguisant son père Thoas en Bacchus et plaçant auprès de lui la ciste avec le tympanum. On la voit aussi auprès d'un Satyre 42 ou même servant de siège à Silène 4a (fig. 4547). Dans les monuments de cette classe, elle est toujours hermétiquement fermée , sauf auprès d'une statue d'Antinoüs en Bacchus 44, où le serpent s'en échappe, comme sur les bas-reliefs. La ciste habituellement employée dans les mystères diony siaques [BACCnus 45] -_4, renfermait, avec le serpent vivant, à titre de iepà u, des grena des, des tiges de férule, des rameaux de lierre et des coeurs, xapîfal 45., probablement des gâteaux en forme de coeur? Ces derniers étaient là pour rappeler' la légende d'après laquelle A.théné avait caché dans une ciste le coeur encore palpitant du jeune ZAGREUS, déchiré par les Titans b7, de même que, dans d'autres récits, les Cabires y déposent, pour le porter en Tyrrhénie, le phallus du frère qu'ils ont assassinéb6 [CABIBI 7 et 8]. Dans certaines initiations particulières, ce sont les jouets mystérieux de l'enfant divin Zagreus que l'on conservait dans la CIS 1207 --m CIS ciste". Ii est à remarquer que quelques récits représentent Dionysos enfant élevé dans un coffre 50, qui se substitue alors au van mystique de la donnée plus habituelle, mais que jamais on ne lui donne pour berceau la ciste n, tandis que c'est dans une corbeille de cette forme qu'Athéné enferme le petit Erichthonios 52, ut mysteria ssp La ciste appartient au culte mystique de Déméter [cERES 13] aussi bien qu'à celui de Dionysos. Elle n'y est cependant pas mentionnée dès une époque très ancienne ", Dans les peintures de Polygnote à la Lesché de Delphes, Cléoboia, en tant qu'ayant porté de Paros à Thasos les mystères de Déméter, était représentée tenant sur ses genoux la ciste dont on se servait dans ces initiations 55. C'est la plus ancienne mention que nous rencontrions de la ciste démétriaque. Dans la vie de Phocion par Plutarque, il est question des bandelettes de pourpre qui entouraient les cistes mystiques employées dans les grandes Éleusinies n. Elles y avaient place, en effet, comme contenant les lepx, composés en majeure partie de gâteaux 67, auxquels les initiés goûtaient dans la 7.apx3oats Tôis Petit des nuits des initiations [ELEUSINIA], ainsi qu'il appert de la célèbre formule : « J'ai jeûné, j'ai bu le cycéon, j'ai pris dans la ciste et, après avoir goûté, j'ai remis dans le calathos, puis du calathos dans la ciste n. n La ciste apparaît encore comme un élément essentiel des rites des mystères de Déméter établis ou réorganisés dans le Péloponnèse à l'époque de la prépondérance politique des Thébains [CERFS, ELEUSINIA]. Ainsi, dans l'inscription contenant le règlement des mystères d'Andania en Messénie n, on parle des vierges sacrées, tirées au sort, qui conduisent les chars sur lesquels sont portées les cistes contenant les ispx p.uartxâ. A Acacésion, près de Mégalopolis, le sculpteur Démophon de Messène avait exécuté un groupe des Grandes Déesses, placé dans le temple, et Despoina, la déesse fille, la même que Perséphoné, avait la ciste sur ses genoux 60. Le simulacre de Déméter Erinnys, à Onceion près de Thelpusa, en Arcadie, avait pour attributs la ciste mystique et le flambeau 6f. Chez Apulée", Psyché jure à Cérès per tacite Sur les monuments de l'art, la ciste de Déméter est beaucoup plus rare que celle de Dionysos, surtout si l'on veut n'en relever que des représentations certaines et bien caractérisées 63. Un sarcophage du Louvre, représentant l'enlèvement de Proserpine nous montre, dans la scène de la réunion de la fille et de la mère, Cérès assise, le bras gauche appuyé sur une ciste. Dans une peinture de Pompéi n, une grande ciste d'osier tressé sert de siège à la déesse des récoltes. En général, la corbeille mystique, quand elle appartient à Déméter, est fermée, sans être accompagnée du serpent 86, animal qui appartient pourtant à la symbolique de la déesse [celtes 13]. Et, en effet, Clément d'Alexandrie, en énumérant les Ise contenus dans la ciste démétriaque, n'y place pas de serpent vivant, tandis qu'il mentionne celui de la ciste dionysiaque 57. Dans la scène de l'époptie d'Éleusis retracée sur un certain nombre de plaques de terre cuite 63 (p. 1070, fig. 1311), dont le sujet n'a été compris que depuis la publication d'une urne de marbre du nouveau Musée du Capitole fi9, le grand serpent, qui est à la fois loixoupç él,t; de l'Anactoron des Grandes Déesses et une sorte d'emblême d'Iacchos [CIMES 13], a seulement sa queue enroulée autour de la ciste fermée, tandis que sa tête et sa partie supérieure reposent sur le sein de Déméter. La ciste hors de laquelle se glisse le serpent sacré, en en soulevant le couvercle, est toujours dionysiaque 70, même quand elle accompagne la représentation des Grandes Déesses, comme sur le vase d'onyx de Brunswick n et sur une lampe romaine 79; elle exprime alors l'association des cultes de Déméter et de Dionysos dans les mêmes mystères [EAccuus 15, cEHES, ELEUSIN6A1. Clément d'Alexandrie 73 parle encore des cistes em ployées dans d'autres mystères de moindre importance, en énumérant les laiera qu'elles contenaient à l'abri des regards : de celle du culte secret de Thémis 70 et de celle des mystères de l'Aphrodite de Cypre n, que l'on prétendait fondés par Cinyras 76. Pour la ciste des initiations cabiriques [cxnlnr 7 et 8], il en est parlé par le même Clément d'Alexandrie 77 et par Nicolas de Damas T', quand il raconte l'introduction de ces initiations à Milet. Une lampe romaine' place une ciste auprès de Minerve; mais dans ce cas elle n'a manifestement pas de rapport avec des mystères. C'est la corbeille dans laquelle la déesse avait caché le petit Erichthonios. La ciste avait, trouvé place dans les cérémonies du culte osiriaque, tel qu'on le célébrait dans le monde grécoromain. Elle n'y était pas un emprunt au rituel égyptien, mais une addition grecque, puisée aux usages des mystères dionysiaques, par suite de l'assimilation qui avait été établie, dès le temps d'Hérodote, entre Osiris et Dionysos [sAccnus 3, osials]. Tibulle 80 parle de la ciste d Osiris, et Apulée $1 la montre portée solennellement dans la grande procession isiaque. Sur la l'ace antérieure d'un autel votif découvert à Rome, sur l'emplacement du temple d'Isis, on voit une ciste ronde et fermée, autour de laquelle un serpent est enroulé, et qu'accompagnent un croissant et des épis 62. Le cippe funéraire de Babillia Varilla présente la figure de la défunte costumée en Isis, avec le sistre et la situla sacrée, et auprès d'elle une ciste accompagnée du serpent d3. Celui de CIS 1208 CIS L. Valerius Firmus, sacerdos Isis Ostiensis et Matris Deos'son 2'ranstiberinae, le montre en costume phrygien, ayant à sa droite une table sur laquelle sont posées deux cistes fermées, l'une décorée de la tête du soleil radiée, l'autre du croissant de la lune n. On a aussi le tombeau d'un cistophorus aedis Bellonae Pulvinensis35 (voy. p. 686, fig. 815), et la ciste accompagne encore le buste d'un prêtre de Cybèle sur un monument de la Villa Albani Se. Attachés à des cultes étrangers que méprisaient les amis des vieilles moeurs nationales, les cistophores ou cïstiftères jouissaient à Rome d'une très médiocre considération 87, Mais les Romains, en même temps, étaient si bien habitués à voir dans la ciste le réceptacle normal des sacra arcana que dans les reliefs de la table Iliaque c'est dans une corbeille de ce genre qu'Énée emporte les Pénates, au milieu de l'incendie de Troie, bien qu'aucun texte littéraire connu n'enregistre ce détail 88. Fa. LENORMÀNT.